RECUEIL DE SOUVENIRS REUNIS PAR
JULES SEGURA
EL PATIO DE COLETTA
Le jeudi matin j’étais réveillée de bonne heure : pas d’ école, j’allais pouvoir profiter de la journée ! C’est le bruit du marteau sur l’enclume qui me sortait des bras de Morphée, en face de chez moi habitait Mr Aillaud……, avec son frère André ils réparaient les machines agricoles, Jean-Guy le fils était un ami, on s’échangeait les Mickeys et autres bandes dessinées. Dans ma rue vivaient toutes les personnes que j’aimaient : outre mes parents, mes sœurs, mon frère, il y avaient mes grands-parents, mes tantes, mes oncles, mes cousins, mes cousines, d’une maison à l’autre on avait pas loin à aller ; quand je vois à la télé certains quartiers de Marseille où tout le monde connaît tout le monde et où tout le monde s’interpelle, rit ou pleure, où il arrive même qu’on s’invective, eh bien ça me rappelle la rue de SAÏDA, ma rue. Sur l’écran de mes souvenirs, il y aussi tous les acteurs qui ont fait vivre le quartier ! Vulcanisateur ! pas docteur, ni coiffeur, non ! vulcanisateur ! ça me plaisait ce mot, et en plus Monsieur Talence….. qui exerçait ce métier, je n’avais que la rue à traverser pour le voir réparer et redonner une jeunesse aux vélos et aux motos. En parlant de vélos, JUAN-SIMON le peintre n’avait que ça pour se déplacer, je le revois passer devant la maison avec ses bidons de peinture et ses pinceaux, pendant son travail il chantait : « l’amour est un bouquet de viol…ettes… »et le pinceau montait et descendait au rythme de la chanson ! mon oncle Antoine le maçon, c’est en montant les murs qu’il chantonnait, j’allais quelquefois lui demander un peu de ciment et une truelle pour me faire une petite construction, il ne m’a jamais dit non et je l’en remercie, pour l’enfant que j’étais, sa patience et son écoute m’ont encouragée à entreprendre. Je ne peux pas parler d’Antoine sans parler de Carmen, ma tante, je ne pourrais pas vous dire les fois où j’allais lui rendre visite dans la journée. Je mangeais à sa table tout ce que je n’aimais pas chez moi, au grand désespoir de ma mère ! il faut dire que je partageais ce repas avec Helyette et Eve-Lyne et après on faisait la sieste où plutôt on se marrait comme des folles des histoires rocambolesques d’Eve. Juste en face vivait la Tia Concha, elle nous parlait souvent de Léon où elle habitait avant, que c’était une grande ville, je n’ai jamais su si c’était Lyon en France ou Léon en Espagne, elle était tellement contente et fière que je n’osais pas l’interrompre. Blanchette, ah ! Madame Cardi, elle avait une épicerie juste à l’angle du Boulevard, c’est elle qui m’a donné envie de faire du commerce. A l’époque, le café, le riz, les pâtes, l’huile, le vin, tout se vendait au détail :
-Je voudrais un kilo de farine !
Blanchette prenait une feuille de papier Kraft qu’elle roulait en cornet et alors moi, je regardais ça avec curiosité et plaisir, la petite pelle en métal introduite dans un gros sac en jute, ressortait avec la belle farine blanche que l’épicière faisait glisser dans le cornet ;
-1 kilo allez bon poids !
d’un petit mouvement rapide du poignet, en bonne commerçante Blanchette, faisait mine d’en mettre un peu plus. Pour le vin aussi c’était tout un cérémonial : le tonneau avec son robinet en bois, l’entonnoir, pas en plastique comme maintenant, non, en alu ! et après avoir donné sa bouteille, car les bouteilles étaient consignées donc on avait intérêt à les ramener, le robinet s’ouvrait et alors un beau liquide rubis coulait et il fallait fermer avant qu’il ne se répande parterre. Je mourrais d’envie de servir les clients. Et les boites de biscuits, petits beurre, feuilletés, gaufrettes, la aussi au détail, pour les emballer, c’était un papier plus fin, combien j’ai salivé devant les boites en fer, maman m’en achetait, mais pour la gourmande que j’étais, pas assez à mon goût. Il y avait aussi Charles le mari, un corse au bel accent, il avait toujours une blague à raconter ou alors il essayait de parler espagnol avec les clientes, sa femme s’amusait à lui faire dire (à son insu) des mots un peu crus, imaginez la tête de certaines mémés un jour où il a dit :
-Qué bonico .ogno (au lieu de mogno) ! (quel beau chignon ! je ne traduis pas l’autre mot, je vous laisse imaginer)
en s’adressant à l’une d’entre elles. Il fallait toute la diplomatie de Blanchette, pour calmer l’offensée !
Dans la rue il y avait aussi l’épicerie de Fifine, Madame Cervantes, une amie à maman. Son mari Pierre était un peu sourd, il nous racontait :
-Quand il y a une conversation et qu’on me demande , hein Perrico ? je dis : oui, oui, même si j’ai rien entendu de ce qui se dit. Il portait un béret noir qu’il ne quittait presque jamais, et son épouse le taquinait toujours :
-tu peux pas t’enlever ce béret, bientôt tu vas coucher avec !
et bien là croyez-moi, un jour, d’un geste rageur, je l’ai vu s’arracher le couvre-chef, le diriger vers ses pieds, lever la jambe et hop d’un seul coup son pied droit a traversé le feutre noir, madame est restée sans voix et moi, je ne me suis pas attardée, ougna ! (fuyons). On dit souvent que les gens très calmes, et c’était le cas, encaissent, encaissent et ça finit par exploser la preuve ! en parlant de ça, me revient ce jour où, madame Cervantes avait préparé un bon pot au feu qu’elle faisait cuire dans une cocotte minute, c’était les premiers modèles sortis sur le marché, la soupape à commencer à tourner et, siffle que je te siffle, madame servait des clients au magasin elle n’a pas pensé à venir diminuer le feu du gaz, et siffle siffle, tout d’un coup une explosion, la cocotte s’est retrouvée au milieu de la cuisine et tout son contenu projeté sous forme de jet, par le petit trou d’ou s’échappait la vapeur. Le plafond a été tapissé de particules de viande, carottes, navets , c’était impressionnant !
Comment ne pas vous parler de Juanico Parra,qui habitait chez Cervantes, je l’aimais beaucoup et il m’a toujours fait rire, même après notre exode (nous nous sommes retrouvés dans l’Est de la France, nous avions le même employeur Peugeot). En Algérie, les soirs d’été la coutume voulait qu’on prenne le frais. Tout le monde sortait sa chaise et on se rassemblait devant une maison. Nous partagions ce moment devant chez Juanico et Françoise. J’arrivais la première avec ma petite chaise et alors j’écoutais Jean racontait sa captivité en Allemagne dans les années 1940, il avait été envoyé dans une ferme pour aider aux travaux des champs, ce qui a été je suis sûre, une dure épreuve avec : le froid pour quelqu’un qui venait d’un pays chaud, l’éloignement, l’incertitude, eh bien lui nous en faisait un récit d’une drôlerie, raconté de façon « Pagnolesque », c’était mon Raimu d’un soir, et tous les soirs le récit changeait, ma sœur Isabelle attrapait des fous-rire que l’on entendait à l’autre bout de la rue, son épouse le regardait et souriait sachant, qu’il en rajoutait beaucoup, mais quel bonheur de l’écouter ! quand venait le moment d’aller se coucher, je le suppliai, racontez-moi encore, qu’est-ce qu’elle faisait la frauleïn ?
– Demain, demain maintenant il faut aller dormir !
Vivement demain soir !
Juanico m’a raconté plus tard, que petit il a connu mon grand père maternel qui venait d’Andalousie avec toute une équipe d’hommes et des bourriquots espagnols (plus grands que l’âne), le soir quand ils rentraient des chantiers (ils travaillaient dans les carrières), ils croisaient Jean qui était enfant, ils le faisaient monter sur une bête et leur plaisir était de l’entendre chanter, il était déjà très gracieux. Il est maintenant dans un autre monde, mais je suis sûre que là-haut il fait rire même le Bon Dieu ! Joséphine sa fille l’a rejoint (trop jeune hélas) et il n’y a pas longtemps son épouse Françoise.
Je rassure Séraphin et Jean, j’ai toujours eu un grand respect pour leur père, si je parle de Juanico ou de Jean c’est pour les anciens qui l’ont connu, pour ma part il reste Monsieur Parra.
J’ai évoqué plus haut la famille Aillaud, c’était les seuls à une époque à avoir le téléphone dans le quartier, alors quand il y avait une urgence très aimablement Madame Aillaud, évitait à ma mère d’aller à la poste. C’était marrant de la voir tourner la petite manivelle pour avoir le standard, ensuite elle demandait :
-le 12 Oran pour le 4 Télagh !
Quelquefois il fallait raccrocher et attendre que la standardiste nous rappelle ; on n’ était pas encore au temps du Clic ! et des MMS
Madame Aillaud jouait de l’harmonium à l’église, et après la communion solennelle, avec Maryse, Clotilde, Michèle, Raymonde nous avons fait partie de la chorale. L’abbé Filliard a interrompu un jour la messe pour dire :
-je demanderais à ces demoiselles de la chorale de bien vouloir arrêter de parler !
Celles et ceux qui se rappellent de notre curé savent, qu’il n’était pas toujours commode. La chorale c’était la messe du dimanche, mais aussi les mariages et après nous étions invités à l’apéritif, que de bons souvenirs !
En évoquant le curé Filliard, il me souvient qu’un jour nous partions au catéchisme tout un petit groupe, juste avant le presbytère on rencontre Antoine Ségura (le mari à Odette Gomez) qui nous demande :
-où vous allez ? ( il était gendarme auxiliaire donc en tenue)
-ben on va au catéchisme !
-mais il n’y a pas catéchisme aujourd’hui, monsieur le curé est mort !
nous sommes partis en courant sans chercher à comprendre, annoncer la nouvelle à la maison, certaines mamans se sont précipitées au presbytère, et là devinez qui leur a ouvert la porte ? Oui, oui le curé ! je ne vous dis pas la surprise !
Dans ma rue il y avait aussi Djillali l’aveugle, il avait une canne bizarre, autour du pommeau il avait des centaine de petits bouts de ficelle qu’il nouait et ça faisait comme un essaim d’abeille, pour les enfants c’était un peu mystérieux, mais il était très gentil Djillali, il nous reconnaissait au son de la voix :
-toi ti Coulette la fille à Pépé !
il m’attrapait la main pour me remercier de lui avoir donné, ou un morceau de gâteau ou un bonbon. Un jour on ne l’a plus revu, et on a appris plus tard qu’il était mort et que dans son essaim il y avait une grosse somme d’argent, est-ce vrai ?
Mon frère André a travaillé jeune chez Monsieur Berger, notre voisin, qui était cordonnier -cellier. Je revois, la boule de suif où il passait le fil pour l’enduire de gras, l’alêne pour percer le cuir et aussi l’odeur que j’aime tant (plus tard j’ai vendu de la maroquinerie) ! Madame Berger était institutrice, les bûchettes, les découpages, c’était le cours préparatoire et l’entrée à la grande école !
Devant chez moi il y avait une fontaine, souvent je m’asseyais dessus et je regardais passer les gens. C’est ainsi qu’un jour assise sur la fontaine j’ai vu arriver un camion comme je n’en avais jamais vu. Les roues avaient une grosseur impressionnante, pour monter dans la cabine il y avait une échelle, c’était un camion qui partait dans le sud où il y avait du pétrole. Bien vite il y a eu un grand attroupement pour voir ce curieux engin qui a stationné pour qu’on puisse voir et faire des photos. Je vous passe les : poh ! poh ! poh ! purééé ! pu…. ! et autres commentaires autour du terrible engin !
Le vendredi jour du poisson nous arrivait tout droit de la ville, la pescatera ! elle chantait :
-du poisson ! du poisson on !
-regarde mes rougets, poze on dirait qu’ils veulent nous parler tellement ils sont frais, et la bonite elle est pas belle ma bonite ?
L’étal de poissons était à l’arrière de la camionnette sur des pains de glace.
Pauvre de moi, j’aime pas le poisson, il va falloir en manger ! je préfère les migas avec la côtelette espagnole (la sardine séchêe)
Il y avait aussi la venue du marchand d’oublis (une gaufrette en forme de tube).Pour signaler sa venue, il avait fabriqué un instrument avec une planche, une poignée vissée sur les 2 côtés, et il en jouait comme avec une castagnette, nous les gosses on comprenait vite le message !
Et Joachina, la marchande de légumes, elle se déplaçait avec une charrette que tirait un âne, en achetant les légumes on apprenait les nouvelles du village, certains personnes étaient habillés gratuitement pour toute l’année.
La rue se transformait parfois en théâtre ouvert, c’est ainsi qu’un indigène venait 1 ou 2 fois par an (on ne sait d’où) habillé comme un homme orchestre, des clochettes aux mains, aux pieds, à la taille, il dansait et chantait en échange de quelques pièces. Et le marchand de vaisselle un personnage ! il pratiquait le troc, on lui donnait des vêtements usagés ou des peaux de lapins et en échange les ménagères pouvaient choisir dans son vieux landau pour bébé, de la vaisselle. Un jour il faisait la démonstration d’assiettes incassables, il en lance une ça marche, elle ne se casse pas, la deuxième se brise en mille morceaux et alors là, avec un talent de bonimenteur il lance à l’assistance :
-cille là y’avait pas d’produit ! bravo l’artiste.
Coiffeur à domicile, c’est un métier qui revient ! je me rappelle de Monsieur Ginès Castellon qui venait raser et couper les cheveux à mon grand-père Pédro-Andrès. On installait la chaise dans la cour, le coiffeur sortait tout son attirail et le travail pouvait commencer. Je tournais autour, surtout quand il rasait mon pépé avec le grand rasoir, j’avais peur qu’il le coupe, mais non, tout en parlant il avait le geste précis, il me promettait si j’étais sage de me donner la petite bouteille vide de la lotion dont il tapotait ensuite le visage de grand-père rasé de prés. J’attendais ça comme une récompense, pensez une petite bouteille qui sent bon ! allez donner ça aux enfants maintenant, ils vont vous rire au nez !
Le métier de matelassier ambulant par contre lui n’existe plus. La plupart des matelas étaient en laine, tous les 3 ou 4 ans, il fallait refaire le matelas, parce que la laine était trop tassée et qu’au centre il y avait un creux, et ensuite, pour laver la laine et changer la toile. Première étape, découdre le tissus pour en extraire la laine et laver celle-ci, ensuite étaler la laine sur des grandes nattes pour la faire sécher au soleil. Arrivaient ensuite, Manuel Contreras et sa mère pour refaire le matelas : Manuel commençait par taper la matière avec un bâton en bois et une baguette en fer, il avait le savoir faire, et que je te soulève d’un côté et que je te donne la « tréja » de l’autre, ensuite avec une espèce de brosse aux dents en métal arrive le moment de carder, c’est à dire démêler la laine. La confection du matelas se faisait tout à la main, pour coudre le tissus, la longueur des aiguilles m’impressionnaient, il y avait 2 modèles, le simple ou à bourrelets, là aussi madame Contreras et Manuel étaient des artisans, la touche finale, des brins de laine cousus un peu partout sur la surface recto et verso, pour former des creux et des bosses pour le plus grand confort des dormeurs. Les premières nuits sur le matelas neuf, on se serait cru sur des montagnes russes, après la laine se tassait et on redescendait d’un cran. Je ne peux pas évoquer la cour, sans parler de la « matanza » ; mon oncle Antoine Gonzalez et ma tante Catherine venaient et là aussi c’était la fête. Je ne voulais pas aller à l’école ce jour-là, on allait tuer le cochon, je ne voulais pas rater ça ! que nenni on m’expédiait, on ne voulait pas voir les enfants tourner autour. A midi, quand je revenais le boudin était déjà prêt et les côtelettes attendaient d’ être grillées dans la cheminée. Et les grattons , les tchitcharons, ma mère faisait une galette de tchitcharons et c’était un délice ! (j’en ai remangé du côté de Perpignan, un boulanger Pied-noir en faisait). La fabrication de longanisses, blanquicos, pâtés etc durait 2 jours, mais quelle bonheur, l’odeur et surtout la chaleur de ces moments familiaux, sont encore présents lorsque je vous en parle. Mon cousin Jean-Jean m’appelait côtelettes, je n’appréciais pas trop ! mais bon, ça fait aussi partie de mes souvenirs. Quand il y a eu le couvre-feu, on ne pouvait plus prendre le frais dans la rue, alors on restait dans la cour, mon père arrosait pour faire un peu de fraîcheur, on disposait les chaises en cercle et là, c’est ma grand-mère Ysabel qui nous racontait des choses extraordinaires. Lors de la pleine lune, elle me disait : regarde la lune, mais pas trop, parce que tu sais, regarde bien, que vois-tu ?
-je voyais des formes, mais quoi ?
– eh bien figure-toi qu’un meunier revenait avec son âne après avoir livré de la farine, et il s’est mis à fixer la lune, et d’un seul coup il a disparu, la lune l’a aspiré, alors tu le vois maintenant !
– oh, oui mémé je le vois et l’âne aussi !
les soirs de pleines lunes je ne peux pas m’empêcher de regarder le meunier et son âne, je pense à ma grand-mère , comme elle nous captivait avec toutes ses histoires merveilleuses ; de nos jours les soirées contées sont à la mode, Mémé était en avance sur son temps. Elle savait tout faire, coudre, cuisiner, elle faisait son savon, je la revois un foulard très serré sur la tête, devant le chaudron fumant et elle tournait le mélange, après elle faisait les morceaux. Mon grand-père Pédro-Andrès n’y voyait plus très bien, il tressait de l’alfa pour en faire de jolis paniers, des corbeilles, il s’occupait ! je lui portais quelquefois des cigarettes et il était content ! j’avais la chance de les avoir prés de moi, nous habitions au même endroit, des habitations séparées mais avec la cour commune, el patio de Coletta !
Nous étions toute une petite bande rue de Saïda, Yves Talence, Jean-Guy Aillaud, Richard Durand, Régine Durand, Maryse Campos, Helyette Baldéras, Jacqueline Charasse, Jean Gonzalez, Paule Cardi, des fois on s’amusait à sonner aux portes et vite on s’enfuyait, quand la porte s’ouvrait on attrapait le fou-rire, contents de nous. Il y a eu la période hula-hoop, qui n’avait pas son cerceau, et vas-y que je me déhanche ! quand on maîtrisait le mouvement, qu’est-ce qu’on était fiers. Puis vint la période scoubidous, « des pommes, des poires, et des scoubidous, bidou ah » le stock de fils électrique a été vite épuisé ! il y avait des artistes qui arrivaient à tresser les fils pour reproduire une guitare, un dromadaire, enfin toutes sortes de gadgets. Nous avons même fabriqué, je ne sais pas qui en a été l’initiateur, des échasses : deux perches en bois, avec un petit carré cloué à mi-hauteur pour poser les pieds et nous voilà partis à grandes enjambées arpenter la rue en riant de notre trouvaille, certains plus prudents, ont accroché des ficelles à des boites de conserve et en on fait des « boites de 7 lieues »
A vous dirais-je mes amis, que c’est rue de Saïda, où j’ai eu « une déclaration ! » ! Un beau jour, ma copine Clotilde vient me voir devant chez moi et me dit :
-Voici de la part de ? (quelqu’un, il se reconnaîtra) il est amoureux de toi !
elle me donne une sucette en forme de poupée. Je ne savais plus quoi dire, je pensais d’abord à une blague :
-je te dis qu’il te l’offre, parce qu’il t’aime !
Il venait d’avoir 9 ans et moi 8, aucun garçon ne m’avait encore offert quoique ce soit ! bien avant Jacques Brel, il avait compris que les fleurs c’est périssable et les bonbons c’est tellement bon ! surtout pour la gourmande que j’étais ! je suis restée muette, toute émotionnée ! j’ai pris le cadeau, le cœur rempli d’amour , je suis partie bien décidée à garder le précieux gage, dans un joli coffret entouré d’ un petit nœud rose, mais hélas, 1 heure après, la friandise a été sacrifiée sur l’autel de ma trop grande gourmandise ! Et la romance ? me direz-vous :
– elle a vécu ce que durent les roses ! notre timidité et notre jeune âge, a eu raison de cette belle histoire, d’amour débutant !
Virazeil
Colette GARCIA-TEULET le 18 .02.2008
MON VILLAGE LE TELAGH
Pour toute ma famille et tous mes amis a la vitesse où le temps passe, rien n’efface l’essentiel ! (F. Cabrel)
Certains se rappellent leur premier noël, d’autres leur première voiture, d’autres encore leur premier amour, eh bien moi, mon premier souvenir est mon premier jour d’école !
Je suis la petite dernière d’une famille de quatre enfants, André mon frère avec qui j’ai quinze ans d’écart, Edouarde treize ans, Isabelle onze ans, vous comprendrez que j’étais la petite gâtée et pour mes aînés la petite merveille du monde. Vers l’âge de 3 ans on m’a inscrite à l’école maternelle, ma sœur Isabelle était (comme on dit maintenant) auxiliaire scolaire chez les petits, elle aidait la maîtresse, à l’époque Madame Latorre. La veille de la rentrée, toutes mes affaires neuves étaient préparées, tablier, souliers, vêtements, cartable etc…Mon père très fier de son petit génie, je savais compter, écrire mon nom, me fait les dernières recommandations et il a ces paroles que l’on dit quelquefois aux petits enfants, sans penser qu’ils puissent les prendre au sérieux :
-alors tu seras bien sage, et surtout si la maîtresse est méchante avec toi tu me le dis et elle aura à faire à moi !
C’était des paroles surtout pour me rassurer, pour m’envoyer le message que si j’allais à l’école ce n’était pas parce qu’on ne m’aimait plus, qu’on m’écartait en quelque sorte du giron familial ! non rien de tout ça, c’était pour m’instruire.
Au petit matin, après un bon petit déjeuner, toute mignonne, me voilà partie avec ma sœur, en route pour la grande découverte de la culture et de l’instruction. Après quelques pleurs dans le préau, nous voilà tous dans la salle de classe, certains sanglotent encore dans leur coin, moi j’ai ma sœur pas loin je suis un peu plus rassurée ; à un moment donné je vois Isabelle murmurer à l’oreille de l’institutrice, celle-ci jette un regard vers moi et me demande de venir :
-Alors Colette, tu es contente, c’est bien l’école ?
Moi toute innocente :
-Oui, mais mon papa, il a dit que si tu m’embêtes, tu auras à faire à….
Je n’ai pas eu le temps de finir ma phrase, une volée de gifles, des pincements d’oreilles, les cheveux tirés et pour finir, elle a ordonné à ma sœur de m’enfermer dans le « Père cafard » la terreur des petits écoliers, en fait c’était la cave où on mettait le bois de chauffage. Voilà où j’ai passé ma première demi journée d’école, à sangloter et à me dire que j’étais victime d’une grande injustice, je le pense encore ! Pour un essai ce fût un coup de maître je dirai même mieux «pour un essai ce furent : les coups de la maîtresse ».
Le retour à la maison a été une délivrance pour moi, mais pour ma sœur qui avait eu la maladresse de demander à Madame Latorre de me questionner, les foudres de toute la famille lui sont tombées dessus ! la pauvre elle était plus malheureuse encore que moi, d’ailleurs elle aussi s’en souvient. En tout cas la méthode a été radicale, je n’ai plus été au « Père Cafard » j’étais sage comme une image. Mon père n’a rien reproché à la maîtresse, à l’époque, les parents ne soutenaient pas les enfants, pourtant là je m’interroge ? toujours est-il que je n’ai pas oublié mon premier jour de classe à l’école maternelle du Télagh.
Puisque je vous parle du « père cafard », je ne peux pas ne pas évoquer le drame survenu avant la rentrée des classes de 1956 (je crois) ! les militaires avaient stationné à l’école pendant les grandes vacances. Des munitions avaient été stockées dans le local à bois. Après leur départ, André Thèvenot et le regretté Marcel Carmona jouaient dans la cour de l’école, qui a trouvé l’obus ? je ne sais pas, toujours est-il qu’il y a eu une explosion, Marcel a été tué sur le coup, André a été blessé, dans le village ça a été la consternation, je me rappelle encore de cette pauvre madame Carmona inconsolable et de la grande foule qui a accompagné Marcel pour son dernier voyage. La rentrée des classes a été un peu retardée, mais nous les enfants nous n’avons pas eu un psy pour nous prendre en charge, pourtant ça a été un vrai traumatisme pour nous, mais à l’époque ce n’était pas encore en vogue !
Pour aller à l’école je passais tous les jours devant la place où il y avait des bals l’été, avec des beaux orchestre. Je me rappelle aussi de l’orchestre Garcia, je n’ai pas grand mal à m’en souvenir puisque c’est mon nom de jeune fille ; à l’occasion de ces fêtes de village des concours de danse était organisés pour les enfants, auxquels je participais. J’ai souvent gagné le concours avec pour cavalier Raymond Alonzo, nous avons même gagné le premier prix en dansant la « Raspa » Pour les jeunes qui ne connaissent pas cette danse, originaire d’Amérique latine peut-être, ça consiste à faire un pas en avant jambe droite, la gauche derrière et revenir jambe gauche devant jambe droite derrière ceci en traînant les pieds, Raspa voulant dire râpe en espagnol, au refrain : bras dessus bras dessous on tourne et hop on change de bras. Ce n’était pas de la « tecktonik » mais c’était très amusant et entraînant. Nous avons ainsi fait plusieurs concours avec le regretté Raymond puis, il est parti au lycée à Sidi Bel Abbès ( il avait 3 ou 4 ans de plus que moi), il avait d’autres copines et l’une d’elle Paule Loubière de Rochambeau qui venait faire le boulevard dans notre village. J’étais un peu jalouse, une de mes cousines en parlant de Paule, la surnommait Poilla, c’est pas tombé dans l’oreille d’une sourde, un dimanche je croise sur le boulevard Raymond avec des copains, copines dont Paule, moi par dépit je lance :
-bonjour Poilla !
Raymond viens vers moi et me dit :
-si tu l’appelles encore comme ça, je ne ferai pas le concours de danse avec toi !
Très sure de moi j’insiste :
-au revoir Poilla !
Si Paule lit ces quelques souvenirs, je lui demande d’excuser la petite fille stupide que j’étais.
Raymond a tenu parole, au concours suivant, ma sœur l’a supplié, j’ai pleuré, il n’y a eu rien à faire, j’ai dansé avec un cavalier qui venait de Tirman (un petit fils de Madame Louis Garland) nous avons perdu mais, heureusement Raymond a aussi perdu, ouf !
L’onclede Raymond, Antoine Alonzo, tenait une boulangerie-pâtisserie, il m’arrivait d’aller avec ma sœur acheter le pain ou des gâteaux. Antoine était très moqueur ! quelque fois ma sœur Isabelle roulait ses cheveux dans des papillotes en tissus, pour avoir des frisettes, elle dormait avec toute la nuit, résultat elle se retrouvait frisée comme un mouton ; un jour, on entre dans la boulangerie, Antoine regarde ma sœur et d’un air très ironique lui dit :
-Où tu vas ma fille ? quand « tiarives » on dirait que tu t’en vas !
Elle a pris le pain sans répondre et on n’a pas mis longtemps pour parcourir la distance qui nous séparait de la maison tellement elle était vexée. Le père à Antoine, Manuel, grand père de Raymond et Manou, était un ami à papa, mon père bien plus jeune, avait été chauffeur dans son entreprise et c’est monsieur Alonzo qui lui avait permis d’acheter son premier camion, c’était un homme d’une grande gentillesse c’était comme un grand-oncle pour moi, petite dés-que je le voyais j’allais l’embrasser, s’il était devant la boulangerie il me disait :
-va choisir un gâteau !
j’hésitais, parce que ma mère me disait toujours, si on t’offre quelque chose il faut dire : non merci ! ce n’est pas poli d’accepter, on va dire que tu es une mal élevée !
Mais la gourmandise l’emportait sur les bonnes manières, j’allais choisir une madeleine, Mum mmmmmmmmmmm ma madeleine de chez Alonzo, comme elle était bonne ! et on voulait que je refuse, vous vous rendez compte ? je ne pourrais pas vous en parler aujourd’hui, merci Monsieur Alonzo.
En parlant de son père et du mien, Antoine disait :
-Quelle paire de pères !
Je vous ai parlé de l’école, de la danse, il y avait aussi le théâtre ! au village il y avait les dames de la ligue Catholique, qui s’impliquaient dans la vie de l’église. Madame Cavé, madame Aillaud, Madame Bougeon Madame Fillol, madame Cambon (la maman à Claude) ;elles nous faisaient jouer des petites scènes, danser dans des petits ballets, pour la kermesse. Madame Fillol (l’épouse du receveur des impôts) nous faisait répéter chez elle, au son du piano. La représentation se faisait au marché couvert qui servait de salle des fêtes quand il faisait froid. Ma sœur Edouarde qui est couturière, me faisait de jolis costumes, ainsi j’ai été : lapin, petite maison rose, alsacienne avec la coiffe en forme de gros papillon noir, Michel Ramon était mon alsacien, il paraît que j’étais douée, madame Fillol avait conseillé à maman de m’inscrire au conservatoire, pensez ! une fille théâtreuse, quel scandale ! tant pis. maintenant c’est moi qui m’occupe d’un atelier théâtre enfants et adultes, je crois en souvenir de ces dames. Merci à elles, qui se sont consacrées aux enfants et aux jeunes du Télagh.
Au marché couvert il y avait aussi des bals, les jeunes filles étaient accompagnées de leur mère, pas question de sortir seules. Dés que la musique commençait, vite les jeunes-hommes allaient inviter une cavalière il arrivait que celle-ci refuse, ça c’était un affront pour l’éconduit !
Un après-midi mes sœurs étaient assises avec maman, commence la musique et voilà qu’Edouarde voit se diriger vers elle un garçon qu’elle avait surnommé « cabeza trueno » (traduction intégrale : tête de tonnerre ! pourquoi ? je ne sais pas ! je n’ai jamais vu la tête d’un tonnerre ! enfin) ;elle regarde ses chaussures pour ne pas croiser le regard de l’intrus, quand soudain elle entend :
-vous dansez mademoiselle ?
Elle le regarde et là il s’est ramassé une « calabaza » autrement dit elle a dit non ;le pauvre est allé s’asseoir humilié. Un autre cavalier vient inviter ma sœur, comme il lui plaisait elle se lève pour aller danser, tout d’un coup arrive la mère de l’offensé qui prend le bras d’Edouarde et lui dit :
-tu n’as pas voulu danser avec mon fils, eh bien tu ne danseras pas !
ma mère se lève à son tour :
-Depuis quand tu décides si ma fille doit danser ou pas ?
les danseurs en ont profité pour partir sur la piste, et les deux mères ont vite oublié l’incident.
Dans le village tout le monde se voyait affublé d’un surnom ! ainsi Santiago du Chili, c’était un jeune algérien qui était commissionnaire, ma sœur Isabelle travaillait à la maison du colon (la banque Crédit Agricole) et souvent il faisait les courses pour les employés, le pauvre il avait eu de l’infection aux yeux ce qui faisait dire à ces demoiselles de la banque :
-il a les yeux en boutonnières passepoilées !
Pata rana ! ( pattes de grenouille), il habitait en face du café des parents à Jules Ségura, (je crois), il marchait les jambes écartées, d’où la comparaison avec le batracien. Pour tout vêtement il portait une abaya (genre de boubou) et rien dessous, il était souvent assis devant chez lui et quand les jeunes filles passaient, il écartait bien les cuisses pour montrer ses attributs, et il leur disait des mots grossiers.
La Jefa (prononcée ré : la chef) son époux était chef de chantier ; très gentille madame Llépes elle avait beaucoup d’humour, elle venait dans l’Est chez sa fille Dolorès qui habitait juste à côté de chez moi. Elle m’a raconté, qu’une de ses voisines espagnole, voulait absolument parler français, elle appelait son fils Rémoundi, un jour elle l’envoie chercher de l’herbe pour les lapins, et voilà ce que ça a donné :
-Rémoundi, Rémoundi, prends le capacette (panier) et va chercher de la llerbesse (l’herbe) pour le bouricon (âne)del pompillone ! (de papa)
Si de là haut elle nous voit, je l’embrasse !
Tio Rojo (tillo ) l’homme roux, mon grand père maternel que je n’ai pas connu, mais dont j’ai entendu parler.
La tia bouriquera ( la dame qui a ou qui a eu des ânes)
Bientôt nous allons voter pour élire nos maires ; qui n’a pas vécu les élections municipales au Télagh, n’a rien vu !
Mon père a été fâché longtemps avec son jeune frère Henri, à cause des élections. Mon père était sur la liste de Monsieur Cambon, le maire sortant et mon oncle travaillait chez Pierre Bernabeu qui briguait le fauteuil , donc il le soutenait. Les poètes s’en sont donnés à cœur joie, chaque jour était publié un pamphlet ! il y a même eu des crêpages de chignons :
Et Valérie au volant de sa vedette
Descend, pour assommer Odette !
Je cite ces vers de mémoire tant ils m’avaient marqué.
Le jour dit, les gens allaient voter et vite ils rentraient chez eux. Heureusement ça ne durait pas, et souvent ça se terminait par une paëlla géante que l’équipe élue offrait à ses électeurs. En ce qui concerne mon père et son frère, un jour mon père était sur le bord d’une route, une roue de son camion avait éclaté, et là qui arrive et vient le dépanner, Henri son frère qui a toujours eu une très grande affection pour son aîné de vingt ans qui l’a élevé, bien entendu ils se sont réconciliés, et mon père qui était de mauvaise foi nous disait :
-mais moi, je n’ai jamais été fâché avec mon petit frère !
Quelques jours avant Pâques, beaucoup de ménagères préparaient des « mounas » (brioches pieds-noirs), il y en avait toujours une petite pour les enfants, avec en son milieu un œuf. Comme le nombre de brioches était important, c’est au four du boulanger que l’on allait les faire cuire, il fallait prendre rendez-vous pour avoir son tour ; à la maison elles étaient stockées dans un endroit frais et recouvertes d’un linge bien blanc, pour ne pas que les mouches aillent dessus, on se méfiait de la « moscarda » (la grosse mouche verte qui pond) On avait droit de se régaler avec la mouna, le dimanche de Pâques, pas avant, carême oblige !
Avant Pâques il y avait le dimanche des rameaux et nous les enfants notre rameau était décoré de friandises, petits sujets en sucre et en chocolat. Je devais avoir six ans, j’avais étrenné une belle robe blanche que ma sœur m’avait fait et un joli boléro en angora, j’arrive à la messe avec mon rameau et toutes ces tentations suspendues, on m’avait bien recommandé de ne pas en manger pendant la messe, j’avais beau essayer de suivre la messe, mais pensez-vous je les avais là sous mon nez, ils me narguaient,ces poules, ces cloches, ces lapins, ces œufs, n’y tenant plus je me saisis d’une poule en sucre à la crête rouge et aux yeux bleus, c’était bon ! tout d’un coup ma mère m’a regardée, j’ai compris à son regard que j’étais marquée du sceau de la honte, ma bouche était bleue et rouge, j’ai voulu m’essuyer c’était pire et en plus le joli boléro et la robe ont été tachés, ma punition c’est que quand la messe a été terminée tout le monde a rigolé, j’aurai voulu m’enfuir, mais tu parles j’avais toujours la branche d’olivier avec toute la basse-cour pendue, va courir avec ça !
Le lundi de Pâques, nous partions manger le riz à Séfioun (direction de Saïda), ou au trou du curé sur la route de Bossuet. Une nappe à même le sol, la gargoulette enveloppée d’un linge humide au milieu, on s’asseyait par terre et c’était le bonheur ! ça commençait pour les grands par l’anisette Gras avec la quémia (on dit maintenant les amuses-bouches) les fèves, les pois-chiches grillés, les olives noires à l’eau Crespo, les variantes (petits légumes au vinaigre) nous les enfants on avait droit au sirop ou au coco (dans un litre d’eau on mettait un paquet de poudre de coco, ça faisait une boisson jaune au goût de réglisse) il y avait aussi l’anthésite. Pendant ce temps dans la poêle le bouillon safrané et tous les bons ingrédients mijotaient en attendant le riz qui ne serait mis qu’au dernier moment, il vaut mieux attendre pour le riz parce qu’après il se transforme en « gatchas » (pâte trop cuite). En entrée : salade juive, oh ce goût de poivrons et de tomates grillés ! un délice ;et la reine de la fête la grosse poêle de aroz ! esta de olé (elle est extra) même les oiseaux ils attendaient avec impatience leur part ! la salade, le fromage, vous vous rappelez le camembert avec une fleur en plastique dedans ? on faisait après des bouquets ,(je suis sure que des collectionneurs ont encore ça) et le dessert avec la mouna on goûtait, on comparait, celle là est parfumée à l’anis, celle là au citron et hop un petit coup de mousseux ou de thé à la menthe pour faire glisser. Les jeunes gens un peu gais s’amusaient parfois à frotter le fond de la poêle et ensuite ils barbouillaient celle qu’ils pouvaient surprendre, c’était des poursuites avec des cris et des rires, nous les enfants on riait quand la victime revenait le visage tout noir, ou bien c’était avec de la farine et là, la demoiselle avait pâli d’un seul coup ; les anciens à l’écart faisaient la sieste le visage masqué par un chapeau ou un mouchoir ! c’était le bon temps d’avant, le temps d’avant les évènements !
Pour préparer Noël, dans toutes les maisons quelques jours avant c’était l’effervescence ! le gâteau traditionnel avec la bûche : el mantecao ! (pâte sablée saupoudrée de cannelle) la championne du mantécao c’est ma tante Béatriz Lazar ! elle nous faisait des minis au citron, à l’orange, ils étaient présentés dans des petits moules plissés en papier, c’était beau et bon !
Vous vous rappelez la bûche maison, les oreillettes, le turron de Jijona, les pralines, les chocolats, les fondants, aie aie aie les dents !
Le père noël on attendait ça avec impatience, oh ces matins de noël quand on se levait et qu’on se précipitait pour découvrir tous les cadeaux au pied du sapin ! nous n’ en avions pas autant que les enfants maintenant, mais c’était la joie quand enfin on avait le jouet désiré. C’est mon cousin Jean-Jean encore lui qui un matin de noël a mis fin à cette belle légende du père noël :
-le père noël n’existe pas, c’est les parents qui achètent les jouets !
avec ma cousine Helyette on a pleuré, pleuré pensant que jamais plus nous n’aurions de cadeaux. Il faut toujours croire au père noël !
Le jour de l’an, les enfants nous allions souhaiter bonne année aux voisins, c’était comme Halloween bien avant l’heure, sauf qu’on n’ était pas déguisés et que nous ne jetions pas des sorts si on ne nous donnait rien ; des chocolats par ci une petite pièce par là, on revenait contents comme tout à la maison.
Maryse, Clotilde, Yves, Marcel, Raymonde sommes devenus des ados, c’était pas encore le temps des yé-yé mais déjà Dalida chantait Les enfants du Pirée, Léo Ferré Jolie Môme, Paul Anka Diana, les Platters Only you , le rock and roll venait de faire son apparition et il était « around the clock »avec Bill Haley. Un après midi, j’allais à la piscine Campos (route d’Ain Tindamine) j’avais le transistor emprunté à mon oncle Juan le frère à ma mère, je rencontre André Castellon qui allait se baigner aussi, nous avons fait le chemin ensemble et nous avons entendu cette chanson « jolie môme » la voix de Léo ferret et le texte, nous avons trouvé ça « extra ». Dédé est plus âgé que moi, cette année là, pour se faire de l’argent il donnait des cours de vacances et, justement j’allais chez lui travailler les maths ; je portais une chevalière au doigt, un jour il me demande, tu peux me la prêter, moi très gentiment je lui passe la bague, quelque temps après il me la rend, nous étions un groupe dont Marcel Encinas, celui-ci me dit tu peux me la prêter, je ne pouvais pas refuser alors que j’avais dit oui à Dédé ! et en plus c’était vraiment sans malice aucune, ma mère l’a appris par une chéqueme (rapporteuse) je me suis faite incendier, elle a ensuite été voir la mère de Marcel, dix minutes après je te vois arriver devant la maison la délégation, ma mère, madame Encinas, Marcel rouge de confusion ; on me fait venir et là j’entends :
-rends lui sa chevalière, que mon fils c’est pas un voleur !
-mais je lui ai prêté !
-toi, tais-toi
Il m’a rendu la bague, sans un mot, nous étions tous les deux honteux, et dépassés par cette histoire. ça ne nous a pas empêché par la suite d’être copains.
C’est Yves Talence qui a fait la première surprise-party, on dit maintenant une « boum ». Il avait invité deux copains du lycée de Sidi Bel Abbés et, je me rappelle de Roland Butteau, il avait souvent cette réflexion : Agua ! et moi je lui répondais : vino ! et on rigolait avec l’insouciance de la jeunesse. Il y a eu d’autres « boum » et je pense à celles qui ont eu lieu dans la salle de classe maternelle, la directrice nous la prêtait, je venais danser à l’insu de mes parents qui n’auraient pas compris que j’aille sans chaperon. Il n’y avait pas d’alcool, ni tabac et ça ne nous empêchait pas de nous amuser et de rigoler. La mode était aux jupes gonflantes, pour qu’elles soient bien bouffantes on mettait un jupon en crin de nylon (ça grattait) et le vêtement était amidonné avec de la farine de lin et surtout fin du fin, il fallait repasser un peu humide ! pour danser ça allait, mais pour s’asseoir c’était pas très pratique.
Yves, Gérald Constant, et quelques autres ont monté un orchestre, ils se sont produits au café Munoz qu’avait repris Joseph Ortega, la salle était à l’étage (si j’ai bonne mémoire) il y avait beaucoup de monde, les militaires venaient au bal, beaucoup de jeunes filles du Télagh ont trouvé l’âme sœur grâce aux bals.
Je ne peux pas parler des bars du Télagh sans évoquer « la tournée des grands ducs » ! cela consistait à faire en une soirée, la tournée de tous les établissements du village. Ce n’est pas offenser la mémoire de mon père que de dire qu’il a fait partie de ces « ducs », monsieur Espinosa, monsieur Edmond Garcia, et le musicien du groupe, monsieur TCHOUMINO. Point de départ café de madame Perret, suivaient , Ramon Bernabeu, Munoz-Ortéga, Bamy, Segura, Campos, et Bucher. Papa m’a raconté, qu’à l’issue d’une de ces tournées des « grands ducs » Tchoumino les invite à souper chez lui, ils arrivent chez leur hôte, sur sa table de la ferraille partout, il la pousse un peu, il les fait asseoir, il prend son accordéon et là il commence à jouer « tira pépé, tira juan » et ça dure, les estomacs excités par la « majia » (anisette) criaient famine, alors l’un d’entre eux ose demander :
-on mangerait pas maintenant !
et tchoumino de répondre :
-ça vous suffit pas ma musique ! poh joël (morbleu)
Et tout le monde de regagner son doux foyer.
Chez madame Perret, il arrivait que « les ducs » commandent l’anisette comme on commande du tissus.
-Gilberte un mètre d’anisette !
un certains nombre de verres étaient servis sur cette longueur désirée et ces messieurs, avaient tout le temps de parler à leur guise, le verre à portée de main, sans avoir à refaire servir la tournée.
Chez madame Perret il y avait aussi un curieux personnage répondant au nom de HAMDI. Il buvait en solitaire au point de tituber quand il repartait chez lui, il avait une méthode personnelle pour franchir la porte : il arrivait péniblement en face de la porte, il se mettait au garde à vous, il prenait son élan et hop il se retrouvait à l’extérieur, eh bien là s’il vous plaît, il se retournait vers l’assistance, et avec un salut militaire il s’exclamait :
-RAMDI ! tojors plous fort !
Les dimanches à partir de 17 heures tout le monde se mettait sur son 31 pour pratiquer « le boulevard » ! ça consistait à descendre et monter la rue principale sur une certaine distance en l’occurrence, de la gendarmerie jusqu’au café l’Escale (chez Séraphin et Hortense Segura). Chemin faisant les langues allaient bon train :
-anlle, t’yas vu celle là comme elle est maquillée ? on dirait un carnaval !
-et celui-là le pauvre, il a sorti le pantalon de sa première communion !
et je ne parle pas des mémés assises devant leur porte, qui plissaient les yeux et avançaient la tête pour mieux voir et pouvoir critiquer. Ça faisait partie du folklore et ce n’était jamais méchant. On faisait une petite pause, en s’asseyant sur la murette de la place parce que si on était rentrés s’asseoir sur les bancs, on aurait tout loupé ! les terrasses de café étaient pleines, les glaces étaient bonnes, tranches napolitaines et autres cornets à la pistache et moi gourmande devant l’éternel, je dois au mélange glaces et caramels Kréma, une terrible indigestion (on dirait maintenant une gastro) qui m’a guérie pour longtemps de ces deux sucreries.
Les sucreries je les achetais le plus souvent chez Sirventé, je disais qu’on m’en excuse « la grosse Munoz ». Les gros chewing-gum Globo étaient quelquefois gagnants alors, on en avait un autre, on te faisait de ces bulles que des fois quand elles éclataient tu en avais plein la figure, le pire c’est quand on s’endormait avec et qu’au petit matin on se réveillait les cheveux tout collés ; il y avait les rouleaux de réglisse avec le petit pois de couleur au milieu, les petits caramels à 1ct de franc, les sucettes au lait, les coquillages à sucer, les gros caramels pâtissier, les rochers Suchard, bref si on me donnait des sous j’avais vite fait de les investir !
A côté de la marchande de bonbons, il y avait la librairie Bernabeu, les parents à mon amie Eliette, c’est Raymonde, sa sœur, qui servait, j’allais m’acheter des mickeys, pipo, double rhum, les pieds nickelés, etc une fois lus on les échangeait avec les voisins ; un peu plus tard j’ai commencé à m’intéresser à Jour de France, on voyait les vedettes et les gens du grand monde, le mariage de Rainier et Grâce de Monaco, la naissance de Caroline, les premières photos du beau Johnny. Au café Ortega il y avait un scopiphone, et on voyait Johnny se déhancher en chantant « Laisse les filles »
Elle était pas belle la vie, en Algérie ?
VIRAZEIL, 22.02.2008
Pour ma famille, mes amis Télaghiens, et tous les invités du site à
JULIO COLETTE GARCIA-TEULET
EL CARICO A JULIO
Des Souvenirs enfouis dans ma mémoire, resurgissent les jeux avec lesquels nous avions l’habitude de jouer au milieu des années 1950 au TELAGH en Oranie .
Se présentaient à nous plusieurs choix: la Toupie, le Pitchack , les Pignols , le Carrico , le Stack , dont je vous ferai une rapide description dans l’autre chapitre.
Ma préférence allait au Carrico mot espagnol qui signifie « petite charrette » diminutif de Carro ( chariot ) dont j’étais un fervent adepte et qui me procurait des émotions très fortes.
Il s’agissait à l’aide de cet engin diabolique de dévaler à tombeaux ouverts la rue au dénivelé important ,afin d’accentuer la vitesse de notre Carrico.
Cette descente infernale se situait sur la Nationale 13 à la sortie du village vers la demeure de mon grand-père Bautista Parra direction Sidi Bel Abbès .
Encore fallait-il posséder ou avoir construit son petit bolide qui se composait de matériel simple : une solide planche ,un morceau de chevron ,trois roulements à billes faisant office de roues, un gros boulon avec écrou et rondelles, quelques clous et une petite corde.
La difficulté majeure était de se procurer des roulements à billes, mon fournisseur préféré Mr Asencio dit » Goubi » avait son garage à coté de la menuiserie Lucas Parra et du bar à mes parents « L’Escale » .Non content de nous offrir ces précieux roulements ,et devant nos difficultés il nous aidait à les fixer sur le chevron avant.
Dans sa phase finale notre Carrico avait fière allure ,en forme de croix avec sa planche rectangulaire ou nous étions assis, deux roulements fixes à l’arrière, un à l’avant au milieu du chevron ou nous posions nos pieds et qui permettait de tenir le cap.
La manière la plus impressionnante et dangereuse était celle ,ou allongé sur la planche, en tenant ses jambes parallèles au sol, je dirigeai l’engin avec mes avants bras , le sol défilait sous nos yeux à une vitesse folle accompagné d’un bruit infernale .
La descente était très rapide ,mais une fois en bas ,il fallait prendre son Carrico sous les bras ,remonter la cote ou nous attendaient impatiemment les copains ,et recommencer à maintes reprises pour notre plus grand Bonheur, ils nous arrivaient d’être suivis ou de croiser des voitures peu nombreuses il est vrai.
J’ai appris beaucoup plus tard que certains villages organisaient des courses de Carrico le dimanche ou jour de fêtes, certains de ces petits bolides avaient un équipage avec deux ou trois petits garnements .
Ces Carricos plus imposants atteignaient de grandes vitesses du au poids de son équipe ..mais là dure ….dure serait la chute……
ah! ….Souvenirs …..Souvenirs …
Jules SEGURA
Le 17.02.2008
SOUVENIRS DU TELAGH LOUIS AMOURIQ
L’échange de quelques phrases au téléphone avec d’anciens habitants du Telagh , a suscité en moi, une intense émotion agréable, accompagnée d’une évocation soudaine d’une partie de mon PASSE .
LA GRANDE FAMILLE DU VILLAGE .
Après avoir quitté, plutôt abandonné le Télagh en 1961 , je me suis rendu compte au fil des années, que les européens du village étaient les .membres d’une même famille .
Beaucoup de familles établissaient un réseau de relations privilégiées parmi les membres de cette grande « smala « .
D’autres familles plus discrètes, plus repliées sur elles- mêmes, restaient solidaires par la pensée avec tous les habitants du village. I
C’est ainsi qu’une chaîne de sympathie s’était créée parmi la population du village .
VOICI QUELQUES EVENEMENTS ILLUSTRANT MA THESE SUR LA SOLIDARITE DE TOUS LES TELAGHIENS .
LES CLOCHES DE L’EGLISE
Lorsque la cloche de l’église annonçait par le glas le décès d’une personne, une grande émotion nous saisissait .Nous cherchions à connaître le nom de la famille endeuillée. Chez nous, bien souvent, un paquet de bougies était adressé aux proches du défunt .Lors du passage du convoi funèbre, un grand frisson parcourait tout notre corps, en percevant, les pas cadencés des accompagnateurs et la voix du prêtre psalmodiant les prières des morts.
LE MARIAGE
Lors d’un mariage les cloches de l’église carillonnaient et les habitants étaient avertis qu’un événement heureux se produisait.
Tout le monde se réjouissait de la nouvelle .Beaucoup d’enfants se rendaient à l’église et attendaient la sortie du cortège pour déguster quelques dragées .
L’ENTRAIDE ENTRE DES GARCONS DE DIFFERENTS MILIEUX .
L’événement se déroule en 1931. En passant devant une maison de personnes peu fortunées, deux garçons surgirent et nous demandèrent ( à mon frère et à moi) poliment, de bien vouloir les accompagner au bosquet, pour effectuer une corvée de bois. Nous étions en saison hivernale.
Leur proposition fut acceptée .
A notre retour, le papa de ces jeunes garçons prit une miche de pain et donna à chacun de nous une généreuse tranche. Soixante ans après, j’éprouve un certain remords d’avoir accepté cette récompense. Je suis persuadé que ce pain dévoré par mon frère et moi, leur fit défaut au moment du souper. Mais comment des enfants de 8 à 6 ans pouvaient-ils refuser, ce qu’un père leur donnait si généreusement ?
LES FOSSES SEPTIQUES.
Au Télagh , jusqu’aux environs de l’année 1945, les fosses septiques étaient entretenues par des vidangeurs aux méthodes moyenâgeuses .
Ces personnes au travail ingrat étaient au nombre de 3 .
Le chef d’équipe rongé par la solitude, s’enivrait périodiquement. Pendant ses crises d’éthylisme, il provoquait les passants et déchaînait la fureur de petits voyous .Une véritable bataille de pierres s’organisait .
Le chef d’équipe et l’européen adjoint au premier, étaient aidés par un arabe boiteux .Ce dernier personnage était surnommé le boiteux , voleur de poules .
L’européen adjoint au chef d’équipe menait une existence misérable. Vers les derniers jours de sa vie, il était hébergé à l’infirmerie fréquentée uniquement par des arabes .
Un jour de printemps par une chaude journée, ce pauvre hère s’était allongé à même le sol, près de l’école des filles .
Accompagné d’un camarade européen et de deux camarades arabes, nous nous étions attendris sur l’état de ce pauvre personnage .Soudain, l’un des deux arabes, inspiré par le démon
proféra des paroles odieuses accompagnées par des gestes abjects, à l’égard de ce pauvre déshérité .
Surpris par l’attitude bestiale de cet individu, j’assistais sans broncher à ce lynchage .
Aujourd’hui , 70 ans après, je me reproche cette attitude .Avec du recul ,je pense que j’aurais dû intervenir et rompre mes relations avec cet énergumène .
UN INSTITUTEUR QUELQUE PEU SINGULIER .
Vers les années 1935 , j’ai eu le triste privilège d’être l’élève d’un instituteur un peu bizarre !
Ce pédagogue se présentait sous une double étiquette .
OPERATEUR CINEMATOGRAPHE
Il eut le mérite de se démener pour acquérir un cinéma parlant. Les séances de projection de films intéressants occupèrent en partie, les loisirs des élèves et de la population .
LE MINABLE PEDAGOGUE
C’était un anarchiste « ni foi ni loi « .Il paraissait vouloir endoctriner ses jeunes élèves. Il ne parlait que de la Révolution de 1789 .
Cette brute avait des procédés anti-pédagogiques .Il giflait, il tirait les oreilles, il nous humiliait par des termes peu élogieux .
Elève très timide, lorsqu’il s’intéressait à moi, il me terrorisait, au point qu’il interrompait mon courant mental. Autrement dit, il me rendait incapable de l’écouter et de réfléchir. Aujourd’hui,
que j’analyse son attitude en tant que psychophysiologiste , je la classe dans la rubrique des harcèlements psychologiques.
Les agissements de cet ignoble instituteur ne s’arrêtaient pas là. Anticlérical ( il s’en vantait) le jour de la catéchèse, il nous retenait pendant un quart d’heure après la sortie des classes pour irriter notre aimable prêtre !
L’EQUIPE DE FOOTBALL .
Vers les années 1935, le village possédait une équipe de football solidement charpentée par les frères Bernabeu .
Attentif au score de cette équipe, j’éprouvais un sentiment de joie lorsqu’elle remportait une victoire .
Je me souviens du différend entre l’ingénieur Arneau et p .Bernabeu .Chacun de ces deux rivaux voulait diriger l’équipe. Ce malentendu se dissipa et l’équipe retrouva sa sérénité .
LE JOUR DU MARCHE
Le marché aux bestiaux
Le marché avait lieu le dimanche. Il était intéressant de se rendre prés du marabout de Sidi-Bouchakor, pour assister au marché aux bestiaux .Outre les palabres échangées entre le vendeur
et l’acheteur, il était curieux d’observer comment s’opérait l’appréciation de l’état physique de la bête. Par de multiples palpations dans différentes régions du corps, l’acheteur ayant évalué approximativement le prix de la bête, faisait une proposition au vendeur .
LA FOIRE
Sur la place, prés du Palais de justice, se déroulait une espèce de foire. Un brocanteur proposait des vêtements défraîchis. En outre, nous pouvions observer la conduite du phytothérapeute , celle du charmeur de serpents et enfin celle du bijoutier équipé de sa forge .
LA TRANSHUMANCE
Vers le mois de juin dans la rue principale du village, nous remarquions de temps à autre, la descente des transhumants vers les régions littorales du département d’Oran .
Ce défilé pittoresque était composé pêle-mêle, d’hommes, de femmes, d’enfants, de moutons, de chèvres et de dromadaires. Cette foule disparate se déplaçait- rapidement dans la rue du village,pour ne pas gêner la circulation des véhicules .
Les dromadaires faisaient l’objet d’une attention particulière. Ils portaient des palanquins, sorte d’habitacle protégeant les filles vierges, du regard des hommes .
Les européens et les arabes appelaient ces transhumants des « Hamiyen » c’est-à-dire des personnes venant des pays chauds .
Le terme « Hamiyen » a pour racine « hâmi « signifiant
chaud.
LES FÊTES DU VILLAGE
Les fêtes du village se déroulaient le dernier week-end du mois d’août .Les festivités duraient deux jours. Pendant ce laps de temps, les travailleurs rompus à de durs travaux, oubliaient les affres de leurs métiers .
Après la fin de la 2e guerre mondiale, les Fêtes des années 46 -47 -48 , marquèrent intensément les débuts de ma période adulte. A l’époque j’étais un étudiant, cherchant désespérément une sémillante créature, qui aurait pu partager mon existence .
Je dus attendre l’année 1949 pour rencontrer une admirable étudiante d’origine espagnole, amie intime de ma cousine, aujourd’hui ophtalmologiste .
Je me souviens avec beaucoup d’émotion de l’orchestre LASSORT -GARCIA, qui fit danser , pendant de longues années, la jeunesse de l’arrondissement de Sidi Bel Abbés .
Je rends hommage aux ravissantes jeunes filles qui ont désiré être mes cavalières pendant cette exceptionnelle période .
Lors de ces « SERIES TANGO « le trouble émotionnel ressenti et partagé par ma fascinante cavalière, l’était d’autant plus , que la
charmante Rolande GARCIA accompagnait de sa voix envoûtante la musique de cet orchestre réputé .
A cette époque le tango qui ravissait les coeurs s’intitulait « JE VEUX ENTENDRE UNE DERNIERE FOIS TA VOIX«….
En ce temps là, les INTERDITS SOCIAUX ABSURDES ( Pression sociale – Rumeur publique ) empêchaient la jeunesse de s’exprimer sentimentalement. Ces interdits devenaient dans ces conditions un agent stresseur, c’est- à dire engendraient chez les individus un stress ( perturbation de tout le système neuro – endocrino -homéostasique ) .
Si les interdits avaient été levés, je pense aux fascinantes jeunes femmes et aux adorables jeunes filles, que j’aurais pu serrer contre une de mes épaules deltoïdées , au son d’un air de tango langoureux.
LES TEMPS FORTS DU BAL
LE LANGAGE DES DANSEURS
Le bal de la fête durait environ 5 à 6 heures. Les danseuses et danseurs qui s’unissaient pendant toute la durée du bal, pratiquaient mieux que les couples fugitifs, deux sortes de langage ( le langage parlé et le langage tégumentaire ) .
LE LANGAGE PARLE :
Au cours des danses successives et suivant le degré d’affinité entre les partenaires, des propos de différentes nature étaient échangés .
LE LANGAGE TEGUMENTAIRE :
Par le contact de la peau, les partenaires pouvaient se transmettre des sentiments profonds de l’un à l’autre. Le cavalier en saisissant de sa main gauche, la main droite de sa partenaire, par le jeu de pressions de différentes intensités, il pouvait transmettre une indication sur ses divers états d’âme .
La communication tégumentaire se parachevait par la pression de la main droite du cavalier sur les régions dorsale et lombaire du corps de la cavalière.
Le joue contre joue contact suprême entre les deux partenaires, n’était pas pratiqué dans nos localités. Pour satisfaire de vieux principes de comportements erronés, les jeunes devaient s’aimer en respectant ces vieux tabous.
LA SEPARATION DES PARTENAIRES A LA FIN DU BAL
Les moments qui précédaient la séparation des couples devenaient insupportables , voire stressants.
.Certains signes précurseurs, nous prévenaient de l’imminence de l’événement .
Le ciel étoilé bleu de Prusse changeait d’aspect et devenait bleu clair, laissant entrevoir la venue des premières lueurs de l’aube. Le bruit des charrettes des agriculteurs allant au champ, laissait présager que la fin de la partie de plaisir était proche. Certains musiciens tout en restant sur le kiosque, rangeaient leurs instruments dans les étuis. Seuls l’accordéoniste, le saxophoniste et le trompettiste donnaient encore quelque espoir aux amoureux, qui imploraient les Forces Célestes d’éterniser ces moments délicieux, sensuels et voluptueux .
Le moment fatal arriva, au cours de la dernière danse, je fredonnais mentalement l’air du Tango lascif, langoureux, envoûtant « JE VEUX ENTENDRE UNE DERNIERE FOIS »
A la fin de la soirée, pour respecter les règles du savoir vivre, je me séparais de ma cavalière en lui serrant la main. Je la regardais tristement rejoindre ses accompagnateurs et je me dirigeais
vers le domicile de mes parents .
LE TELAGH , TERRE DE MES AMOURS.
Je pense aux objets inanimés, les murs des maisons et aux êtres animés, les arbres des rues et des places et la nature avoisinante. Tous ces éléments, d’une manière mystérieuse ont enregistré ma voix et l’image de mon corps, comme celles de mes compagnes .Ils représentaient le support affectif de nos relations. Ne persistent de ces traces, que les événements engrammés dans ma mémoire .
Aujourd’hui plus rien n’existe: la dépersonnalisation de nos demeures, de nos villages, la mutilation, le saccage de la dernière demeure de nos chers disparus. L’oeuvre de nos anciens pionniers est sur le point de disparaître .
Mon récit est terminé. Je vous est présenté une infime partie de l’histoire de notre Télagh et surtout l’histoire de mon Télagh .
Louis AMOURIQ
LES CANARIS DU MEUNIER
Qui se souvient du meunier du Telagh dont je ne me souviens plus le nom , ah oui Alonzo ! ! . Nous allions lui porter du blé tendre ou dur issu de la récole de nos parents pour qu’il nous transforme ces grains en de la bonne farine à pains ou à mounas .
Il avait une cage à l’entrée du moulin avec des canaris . Pour que ces oiseaux puissent boire, il leur avaient installé un abreuvoir à l’extérieur de la cage en forme de puits . Un dé à coudre trempait dans l’eau de cette réserve . A ce dé était relié une ficelle avec pour point haut le bout d’un perchoir dans la cage. Il fallait donc que ces braves canaris hissent avec leur bec cette ficelle jusqu’à leur hauteur pour pouvoir s’abreuver avec avidité dans le « seau » d’eau .
Ils s’y reprenaient à plusieurs reprises et à chaque mouvement de tête vers le haut maintenaient avec une patte la cordelette .
Je ne me lassais pas de regarder et d’admirer ces oiseaux qui avaient compris le système de puisage tout simple pour les humains mais certainement peut utilisé dans la nature !..
Amitiés .
Norbert TOGNET
JEUX D’ENFANTS EN ALGERIE
Un petit résumé et condensé des principaux
jeux pratiqués en Algérie par les jeunes enfants Pieds-Noirs.
Ces textes ne sont pas tous de moi ,j’ai simplement apporté des petites notes personnelles ,j’ai glané par ci par là des informations et petits détails pour faire découvrir à certain, quelque jeux de rues que nous avions étant enfants en Oranie .
Justement à la fin des différents jeux ,j’ai trouvé une vidéo sur youtube forte intéressante retraçant d’autres jeux .
Merci à Alain de Mers El Kebir pour cette belle vidéo que l’on peut voir sur mon Site personnel.
LE PITCHACK
Le jeu Pitchack est avant tout un jeu d’adresse, il fallait le faire sauter avec les pieds, les genoux comme on jongle avec un ballon de Foot .
Comme pour tous les jeux d’adresse, il fallait être très habile et beaucoup de pratique pour apprivoiser cette boule d’élastiques assez légère.
Le jeu consistait à faire le plus de jongles possibles.
Les virtuoses rajoutaient des figures de style en se servant de toutes les parties du corps pour faire rebondir le Pitchack , tête ,genoux ,cuisses ,épaules ,.
Fabrication du Pitchack
Il faut une chambre à air de vélo, découper de petits bracelets et les assembler avec une ficelle.
Cet amas de rondelles découpées donnait à l’engin de la souplesse et de l’élasticité qui facilitait les rebonds.
La chambre à air découpée en rondelles.
Dans les cours de récréation, comme dans la rue de véritables championnats s’organisaient .
Il y avait des virtuoses du jongle qui ont dû par la suite devenir d’excellents footballeurs.
LES NOYAUX D’ABRICOTS
» LES PIGNOLS »
Le petits tas.
Il se composait de 3 noyaux assemblés et le 4ème dessus.
Le « Banquier » (en quelque sorte) mettait en jeux 4 noyaux que l’on pouvait remporter avec un seul .
Le joueur devait à une distance de 3 mètres disloquer le petit tas en lançant le noyau un peu comme à la pétanque.
Le Tuyau.
Les noyaux étaient placés dans un tuyau de descente des eaux de pluie.
Le match opposait deux joueurs un à l’autre.
Le nombre de noyaux était fixé par les deux joueurs.
Chaque joueur était accroupi de chaque coté du tuyau et lançait à tour de rôle son noyau dans la goulotte.
Plusieurs variantes régissaient la manière de jouer avec la descente d’eau, L’une d’elle était que celui qui chassait le dernier noyau de la goulotte ramassait la totalité des noyaux en jeu.
La variante était intéressante parce que les deux positions de chaque coté du tuyau ne présentaient pas les mêmes difficultés pour deux droitiers par exemple.
Afin d’éviter beaucoup de problèmes on choisissait souvent d’alterner pour que le jeu soit plus équitable.
LES CARRICOS
Heureux celui qui pouvait se procurer les précieux roulements à billes auprès d’un mécanicien qui permettait de fabriquer les CARRICOS ( petites charrettes ) diminutif de Carro qui veut dire en Espagnol ( Chariot ).
Les roulements avant étaient fixés sur une barre mobile autour d’un axe vertical, il permettait de guider le Carrico.
Le gouvernail était lui même fixé sur un timon à l’aide d’un gros boulon. Sur le timon était fixé le plateau avec ses deux roues arrières qui elles étaient fixes.
Heureusement au Telagh les descentes étaient nombreuses avec un dénivelé largement suffisant pour nous permettre de prendre de la vitesse avec nos carricos et d’éprouver des sensations fortes .
LE STACK
( Etait-ce vraiment un jeu ) .
Pour fabriquer le Stack , il fallait choisir une fourche en bois d’olivier, le façonner pour lui donner cette forme arrondie.
On gardait l’arrondi par brûlage qui séchait le bois en lui donnant cette robustesse qui caractérise l’olivier.
Le matériel : l’élastique carré ou gomme , du cuir souple et de la ficelle.
On découpait dans le cuir la poche qui recevait les projectiles en général des cailloux ou billes .
On découpait également deux bandelettes de cuir que l’on fixait sur branches du stack et sur lesquelles on fixait l’élastique.
Ces bandelettes évitaient le cisaillement de l’élastique quand il était directement fixé sur le bois.
Certains étaient très adroits, ils déquillaient les cibles avec un précision extraordinaire.
Beaucoup de petits oiseaux y ont laissé les plumes.Les pauvres .
LA TOUPIE
Je ne me souviens plus où on achetait nos toupies peut être à la quincaillerie Nanclares à coté du bar à mes parents sur la Nationale 13 ou dans une autre boutique au Telagh .
On achetait la toupie mais on ne l’utilisait pas tel quel, il fallait la préparer.
Je me souviens certaines étaient brutes et nous pouvions les décorer afin de les personnaliser.
La toupie était surmontée d’une tête que l’on coupait.
La seconde étape, la plus délicate enlever le clou trop pointu et le remplacer par un autre plus long et d’un diamètre plus gros. La difficulté de cette opération venait du fait qu’il fallait enfoncer le clou suffisamment pour qu’il tienne bien sans que la toupie éclate fendue en deux.
La dernière étape, scier le clou généralement d’un longueur d’un demi centimètre, puis arrondir et polir l’extrémité.
La réussite n’était pas toujours assurée, il fallait que la toupie soit équilibrée pour qu’elle tourne sans bruissement d’air et qu’elle soit douce quand elle tournait dans la main.
La toupie était actionnée par une cordelette qu’on enroulait soigneusement, puis on jetait la toupie sans lâcher la ficelle ce qui donnait à la toupie son mouvement rotatif.
On jouait à Tchouk Tchouka, ce jeu consistait à faire avancer la toupie d’un joueur hors d’un cercle.
Il fallait déplacer la toupie au sol uniquement sous le choc entre toupies, sans toucher la toupie au sol avec la main.
Sous les coups (parfois violents) assénés par la toupie du lanceur, il arrivait parfois que la toupie à terre fende, ce qui nous a valu quelques empoignades.
Et bien d’autres jeux encore ……..
Jules SEGURA
NOTRE DEPART D’ALGERIE UN ETE 62
Après tant d’Années de Silence.
Envie de Raconter à qui, pour qui ……..à nos Enfants, Petits Enfants, ou peut-être tout simplement ,à moi-même !.
Non je vous dis que Non, Non je n’ai pas de bête, pas de Chien, et n’en aurai jamais plus…!
Depuis l’Algérie Le Telagh mon village natal où nous avons été obligés de tout abandonner, même mon chien que nous avions baptisé Tarzan, laissé sur le trottoir devant le bar, il hurlait à la mort pendant nos préparatifs de départ, dans la nuit de juillet 1962.
Il nous a suivi un très long moment, courant derrière la voiture à perdre haleine dans la descente en bas du village qui menait à Sidi Bel Abbés.
Avec mes soeurs et mon frère, nous le quittions plus des yeux au travers de la vitre arrière, et dans le vacarme que faisait le moteur dans le silence de la nuit, nous sentions le long de nos joues couler de petites larmes, en sanglotant nous étions blottis les uns contre les autres.
Au bout de plusieurs mètres notre Tarzan capitula et s’arrêta net, haletant, exténué par cette longue course inégale face au bolide de mon père, vous pensez une Peugeot 203 !!, dont la conduite s’est avérée très nerveuse ce soir là.
Un silence lourd régnait tout le long du trajet, nous avions sur notre galerie, où porte-bagages, un matelas roulé comme un saucisson, deux valises, une malle en tout et pour tout .Notre première destination, nous devions traverser Sidi Bel Abbés située à 60 kilomètres au Nord du Telagh, mon Dieu que ce trajet fut long et pénible dans cette atmosphère si lourde et pesante dans la 203 grise.
Chacun d’entre nous, repensions à ce que nous n’avions pas pu prendre faute de place, on aurait aimer tout prendre comme dirait certain, certes notre voiture était assez confortable pour l’époque, mais avec quatre enfants dont moi le plus âgé 16ans et le plus jeune 7 ans, il ne restait plus beaucoup d’espace pour d’autres bagages même de fortune ,sur la banquette arrière.
Mon père refaisait constamment le point concernant l’itinéraire, car il nous fallait ensuite rejoindre la ville d’ Oran, située à environ 80 kilomètres me semble t-il, tiens je crois d’ailleurs que nous étions immatriculés en 9 G pour l’ Oranie et 9 A pour Alger.
Oran, après avoir franchi de multiples barrages, subit plusieurs fouilles et vérifications de papiers par la Police locale et membres du F L N ( Front de Libération Nationale ), nous traversions certain quartier complètement en ruine suite aux opérations de destruction appelées « Terres Brûlées » pratiquées par l’ O A S
( Organisation Armée Secrète ).
Nous pouvions apercevoir d’épaisses fumées noires qui s’élevaient dans le ciel avec une odeur désagréable de caoutchouc brûlé et de mazout. Nous étions loin d’être rassurés, car au loin nous entendions plusieurs explosions accompagnées de tirs de fusils et d’armes automatiques.
Arrivés enfin au Port d’Oran, d’énormes paquebots étaient à quai comme le Ville D’Oran, Le Kairouan, les quais étaient noirs de monde, des milliers de personnes attendaient leur tour d’embarquement avec au sol leurs valises ,des malles ,des matelas.
Après moultes palabres et heures d’attente, pour finalement nous entendre dire qu’il n’y avait plus de place pour nous, mais restait encore des places disponibles pour l’embarquement de voitures à destination de Marseille, Sete, Port-Vendres.
Très difficile pendant cette période d’obtenir des billets de bateau ou d’avion tout était complet, les départs furent tellement massifs et inattendus, il faut dire que personne n’avait envisagé un départ aussi soudain, ça nous semblait tellement irréel de tout quitter, de tout abandonner, personne n’y croyait vraiment jusqu’à l’ Indépendance du 1er juillet 1962.
Aujourd’hui je suis choqué et je m’aperçois, que notre village se vidait petit à petit ,et que tout le monde partait le plus discrètement possible, même parmi nos proches ,amis ,chacun avait peur d’annoncer son départ , Peur !! , Peur de quoi, une fuite, des représailles, n’oublions pas également que certain ont du fuir précipitamment suite à des menaces réelles ou fictives pour s’emparer de nos biens….est-ce pour ne pas compromettre la sécurité de notre fuite ? que sais-je !!! .
C’est le choix par obligation, que mes parents ont fait comme tant d’autres, d’envoyer le véhicule sur Marseille et prendre l’avion ,de ce fait nous nous sommes rendus à l’aéroport d’Oran La Senia, où nous avons pu obtenir des places ,après pas mal d’attente au milieu d’une foule nombreuse .
L’avion en partance pour la France, Aéroport de Marignane près de Marseille, était je m’en souviens comme si c’était hier ,une Caravelle en très bon état ,par contre subsiste un doute et ma mémoire me fait souvent défaut ,s’agissait-il de Air Algérie je crois que oui ,ou Air France ? en 1962.
C’est avec une certaine appréhension et curiosité et je dois dire ,avec fierté que nous montions à bord de cet énorme oiseau ,c’était bien sûr notre premier vol.
Je le dirai souvent je crois, nous étions nous, enfants inconscients, moi un peu moins peut-être, vu mon âge par rapport à mes soeurs et frère ,nous nous apprêtions à nous envoler vers un Pays certes La France notre Pays ,mais inconnu de tous du moins des jeunes générations.
Car la plupart de nos pères Pieds Noirs ont foulé le sol Français, comme mon père et tant d’autres le 6 Juin 1944 lors du débarquement en Normandie avec la 2e D.B Division Blindée du Général Leclerc pour enfin libérer notre Capitale Paris et terminer par la Libération de Strasbourg, et revenir certain seulement, une fois leur devoir de citoyen français accompli vers Le Telagh leur village natal.
Une fois sur le sol de l’aéroport de Marignane, il fallait nous rendre au Port de Marseille pour récupérer la voiture, au milieu des containers en ferrailles certains éventrés, valises , malles, matelas au milieu d’une foule triste en pleurs ,perdue , déracinée ,composée de jeunes enfants ,de bébés ,de grands-pères ,de grands-mères, de vieillards, d’handicapés ,au milieu de milliers de malles ,valises, pour ceux qui ont pu ramener quelques affaires .
Cette foule était composée et représentait toutes les nationalités ayant vécu en Algérie, Français, Espagnols, Italiens, Juifs, Musulmans, Harkis, Maltais, Siciliens, Sardaigne, Corse .
Des attentes interminables, de multiples démarches sur les quais à faire avant de prendre possession, pratiquement de notre seul bien de valeur que nous ayons pu ramener.
Personne ,pas une âme chaleureuse pour vous accueillir à notre arrivée ,au contraire nous avons été maudits ,insultés ,traités de sales Pieds Noirs, accusés par la suite de nous accaparer de leur travail ,leur logement ,leur fille ,parait-il tous de gros et riches colons , des colonisateurs .Tu parles…. !
On semble oublier que l’Algérie ,ou faut-il le dire et le redire c’était la France ,la population était également composée de Fonctionnaires ,d’Ouvriers ,de Postiers ,Cheminots ,Gaziers ,Enseignants ,de Médecins, Banquiers, Ingénieurs ,Policiers ,et Gendarmes et j’en passe ,tout simplement le reflet de toute Société.
Personne n’avait pensé à cette arrivée massive des Pieds Noirs quittant subitement l’Algérie, le massacre du 5 juillet 1962 à Oran où de nombreux Européens furent assassinés, ne fit qu’accélérer l’exode de plus d’un million de personnes. Et bien sûr rien n’était prévu, les structures d’accueil ont été longues à se mettre en place volontairement ou pas par certain Maire paraît-il comme celui de Marseille Gaston Defferre qui voulait rejeter Tous les Pieds Noirs à la mer.
Dans sa déclaration dans Paris Presse le 22 juillet 1962 ,il aurait déclaré que Marseille avait 150 000 habitants de trop « Que les Pieds Noirs aillent se réadapter ailleurs ».
Faute de structures d’hébergement les premiers soirs avec beaucoup de difficultés nous n’avions pas d’autres alternatives ou solutions que d’aller dormir à l’hôtel, vers la Canebière et la gare St Charles où certain hôteliers n’hésitent pas à pratiquer les prix forts en profitant de cet afflux de « Touristes « .
Une fois le véhicule récupéré, nous sommes partis à Perpignan, après un long séjour en pension familiale vers les cabanes de Fitou dans l’Aude ,pour trouver enfin un logement et travail dans les Pyrénées Orientales devenues notre Terre d’accueil au Boulou précisément ,et notre intégration s’est tellement bien faite que nous avons tous pris pour époux et épouses ,catalans ou catalanes, Pays où il fait bon y vivre ,même si j’ai du à nouveau m’expatrier en Région Parisienne 1970 pour suivre mon épouse qui avait obtenu un poste d’enseignante.
Avant de terminer mon histoire, je voudrais rendre Hommage à mes Parents, à tous les Parents Pieds Noirs, ou pas Pieds Noirs qui ont connu cette Tragédie Humaine, l’Exode de 1962.
Il faut leur rendre Hommage ils ont su avec courage et bravoure, redémarrer à zéro, sans jamais rechigner, pour rebâtir, reconstruire, sans oublier leur tâche principale nous élever, nous donner une éducation, un travail tout ça dans la dignité et la fierté avec peu de moyens le tout sans Haine ni Rancune et avec Amour…Nos Aieux n’étaient-ils pas tous des Pionniers ?, rien ne les arrêtaient même les taches les plus ardues .
Un grand Merci à tous nos parents pour leur réussite, leur parfaite intégration en se fondant dans la masse le plus discrètement possible ,en oubliant même leur origine de peur d’être montré du doigt et traités de » Sales Pieds Noirs « ..
Aujourd’ hui heureusement nous en rions encore.
Grâce à eux, à leur sens de l’Honneur, de Fierté de voir la réussite de tous leurs enfants, Un grand Merci à eux, pour ce que nous sommes devenus aujourd’hui.
Finalement avec le recul, certains finissent par penser que c’est une bonne chose d’avoir quitté notre Afrique, quel Avenir aurions nous eu là-bas, pour nous, pour nos enfants ?.
Subitement j’ouvre mes yeux, les larmes viennent naturellement et coulent tout doucement le long de mon visage ,que je tente discrètement ,et timidement d’effacer.
Nous avons entre-temps j’en suis sûr, traversé, retraversé maintes et maintes fois la Mer Méditerranée, par avion, par bateaux en partance de Paris, Lyon, Marseille, Sete , Port-Vendres, pour arriver à Oran, Alger, Constantine ,Tlemcen.
Certain réellement, d’autre fictivement ou dans leur rêve, pour certain le désir d’y retourner reste très fort encore aujourd’hui, mais le souhait de conserver leur souvenir intact ,l’emporte,..
Mais jusqu’à quand….?.
Des Années, et des Années se sont écoulées depuis1962…
C’est un autre Monde ……de nouveaux Paysages, de nouveaux Horizons, de nouveaux Parfums, une autre Vie qui s’ouvre à nous .
Une autre Histoire qui commence !! Qui recommence.
Faut-il Tourner la page … Regarder devant…., se Retourner … Oublier,…se Taire …
Remuer le couteau dans la plaie qui pour certain est si profonde et dont la cicatrisation fait si mal .
…..se Souvenir…..Ecrire …Raconter …Transmettre…Ecouter… Comprendre … Pardonner … Oui Pardonner..?
Nos historiens mais que font-ils ?..Les Médias… La Presse …..Mais je ne peux leur en vouloir aujourd’hui. !
Ne nous sommes pas tus nous-mêmes, pendant quarante cinq ans ?
Heureusement maintenant, avec l’apport d’internet, nos Coeurs commencent Enfin.. à s’ouvrir.
Merci d’avoir pris le temps de me lire.
Ce soir j’ai posé ma plume, et laisser parler mon Cœur.
Pardon !!!! Une petite larme….
Le 04.10.2008 Julio.
TEMOIGNAGE D’UNE RAPATRIEE
Je tiens à préciser qu’au moment où les événements d’Algérie ont débutés, les communautés européennes et musulmanes de notre secteur vivaient en bonne entente. Le racisme était inexistant dans notre quotidien. Nous vivions en parfaite accord du moins le pensait t’on. J’ai travaillé de longues années avec des collègues algériens et mes enfants avaient tout naturellement des camarades algériens , sans que cela pose l’ombre d’un problème.
Le 1er novembre 1957 des événements d’insurrection ont débutés en Algérie et plus particulièrement dans les AURES . Des attentats avaient été commis d’abord dans les djebels pour peu à peu se propageaient vers les fermes, les villages et les villes. La situation commençait à devenir « critique » sur tout le territoire.
Nous savions naturellement que des attentats étaient proférés un peu partout dans le pays mais tout cela paraissait encore bien abstrait . Nous n’étions pas alors au cœur des événements….
Très vite l’inquiétude se fit grandissante parmi la population. Nous vivions tous très mal cette situation d’insécurité. Le malaise était palpable…
Puis des attentats se sont rapprochés, pour arriver jusqu’à nos portes.
Des fermes étaient brûlées, des familles égorgées, le couvre feu instauré..… La tension devenait insoutenable. La peur faisait partie de notre quotidien.
J’étais à l’époque en service à la Sous Préfecture du Télagh (ancienne commune mixte) qui administrait 16 communes de plein exercice et 15 douars.
La commune mixte a été érigée en Sous Préfecture en 1958.
Nous avions, en Sous Préfecture, un service radio ce qui nous permettait d’avoir des nouvelles au quotidien. Nous étions de ce fait parfaitement au courant de l’avancée des événements et surtout de leur ampleur.
La situation devenait de plus en plus critique au fil des jours. Des rumeurs circulaient au sujet d’un éventuel arrêt des événements. !
Il y eu alors la signature des « accords d’Evian » le 19 mars 1962 . Mais hélas le massacre était loin d’être terminé. Après ce 19 mars de nombreux attentats ont continué d’être perpétrés. Les morts de part et d’autre étaient légion.
Le 15 mai 1962 le Sous Préfet algérien du Telagh qui revenait d’une mission à Tiaret a été assassiné. Mon époux ainsi qu’un adjudant de gendarmerie qui faisait partie de l’escorte sont morts ce jour là dans l’embuscade. Des innocents, victimes de balles aveugles comme tant d’autres… Mon mari avait 43 ans, les autres à peine plus.
Ce jour là pour nous le glas a sonné ………….. !
Après cet attentat, la situation est devenue extrêmement tendue de part et d’autre au sein de la commune. Les européens ont alors commencé à déserter les lieux, abandonnant tous leurs biens avec au cœur, le secret espoir de revenir …. mais pour l’heure il n’était question que de sauver sa peau .
En quelques jours il n’y eu plus ni femmes ni enfants dans le village.
Le 12 juin 1962 au petit matin, mes 3 enfants en compagnie de ma mère ont quittés la maison sous escorte militaire pour rejoindre Oran … « destination Marseille ». Ils allaient rejoindre, notre famille qui se trouvait déjà dans l’Est de la France. Une chance que n’avait que peu de rapatriés en partance.
Nous, dans notre malheur nous avions cette chance là. On nous attendait là bas de l’autre côté de la mer..…….
Après l’assassinat du Sous Préfet, l’armée s’est installée à la Sous Préfecture avec pour mission l’expédition des affaires courantes et en particulier l’établissement des CNI, un laisser passer indispensables aux Français désireux de quitter l’Algérie. C’est dire que le travail ne manquait pas…
Je suis restée en service jusqu’au 25 juin 1962. Mes collègues avaient tous quitté bien avant moi leur poste, l’indépendance devant intervenir le 1er juillet 1962…
Le 27 juin 1962 j’ai quitté l’Algérie … destination la France.
Arrivée à Marignane je n’ai eu qu’une hâte, retrouver ma famille dans l’Est de la France, et qu’un souhait, reconstruire pour eux une nouvelle vie.
« Ce 27 juin 1962 au petit matin en quittant sous escorte militaire Le Telagh , j’ai dit adieu pour toujours à ma chère Algérie ainsi qu’à tous nos morts restés là bas…. »
Martinez-ALONZO Maria Hermina.
Née le 26/01/1920.
Le 25.11.2008
TOUS MES, NOS, REMERCIEMENTS A JULES POUR CE RECUEIL DE SOUVENIRS.
Avec le Concours de :
Colette Teulet née Garcia– Louis Amouriq – Jules Segura.
Norbert Tognet– Herminie Alonzo–